Nous sommes le 14 septembre 1982, dans un luxueux hôtel maltais sur la côté méditerranéenne. Ici le Widzew Lodz, champion de Pologne en titre, prépare son premier match de C1 face aux Hibernians de Paola. La chaleur est écrasante, la pression quasi absente, les polonais sont confiants et sont convaincus de ne faire qu’une bouchée de leurs adversaires. L’ambiance dans l’hôtel est bonne enfant, on rigole, on se chambre, à tel point que deux joueurs décident d’aller faire trempette dans la mer proche. Au détour d’un sentier les malheureux chutent dans un énorme buisson rempli d’épines. Les chairs sont lacérées et le constat implacable : forfait pour le match du lendemain.
C’est de cette manière tragi comique que débute une des plus belles et inattendues épopées du football polonais.
Toujours est-il que malgré ces absences le Widzew se balade face aux faibles maltais. Miroslaw Tlokinski, qui jouera plus tard pour Lens et Rennes, ouvre la marque dès la 7ème minute. Puis Marek Filipczak inscrit un triplé. Le match est plié et ce n’est pas la réduction du score d’Hibernians dans les dernières secondes qui y changera grand chose. 1-4.
Le boulot est fait, les joueurs du Widzew peuvent retrouver Lodz (à prononcer Loutche) l’esprit tranquille. D’ailleurs le match retour sera également une simple formalité qui verra les polonais conforter leur avance en s’imposant 3-1.
Le tirage au sort leur assigne un adversaire bien plus coriace pour le prochain tour : le Rapid de Vienne, dans lequel on retrouve notamment le fameux Antonin Panenka. Les autrichiens ont été sacrés champions en battant leur frère ennemi, l’Austria de Vienne, et viennent d’atomiser 13-0 un malheureux club luxembourgeois. Ils comptent également dans leur rang un attaquant de classe mondiale, l’autrichien Johann Krankl, qui a notamment remporté le titre de meilleur buteur de la Liga avec le FC Barcelone.
Autant dire que ce Rapid fait peur et que le Widzew ne part pas forcément favori puisque le club a du se séparer de son meilleur élément durant l’été : Zbigniew Boniek, considéré par beaucoup comme le meilleur joueur polonais de l’histoire, qui s’est engagé avec la Juventus de Turin.
Un match de folie
Le match débute bien pour Lodz, à la 48ème c’est encore Miroslaw Tlokinski qui ouvre le score pour le Widzew. Cependant les autrichiens réagissent vite et égalisent 10 minutes plus tard avant de prendre l’avantage à la 71ème minute. Les polonais repartent de Vienne avec ce fameux but à l’extérieur, pas une mauvaise opération. Tout se jouera à Lodz dans un magnifique match de fou furieux qui verra le Widzew s’imposer 5-3.
Si vous avez un peu de temps je vous invite vraiment à regarder le résumé de ce match. Si vous n’êtes pas convaincu sachez que vous y verrez une reprise de volée magnifique de l’extérieur de la surface de la part de Pawel Wozniak, la traditionnelle Panenka du joueur éponyme, une action magnifique du Rapid conclue par un but de Leo Lainer ou encore une incroyable chevauchée depuis le rond central de Wieslaw Wraga. 4 minutes de plaisir intense pour un match de légende !
Pour la petite histoire, à la 88ème minute le défenseur central polonais Andrzej Grebosz marque contre son camp, portant le score à 5-3. Il reste au sol, face contre terre pendant de longues secondes, croyant que son but élimine son équipe. Le capitaine Zdzisław Rozborski doit aller expliquer à son joueur que le Widzew est toujours qualifié pour que ce dernier réalise s’être trompé dans le score !
Une étape à franchir
La prochaine marche sera très très haute pour les polonais de Lodz : le grand Liverpool, auteur d’un doublé Championnat-Coupe de la Ligue l’année précédente et vainqueur de la C1 deux ans auparavant. Le premier match a lieu à Lodz et la ferveur populaire est incroyable, les tickets s’arrachent pour ce qui s’annonce comme l’événement de l’année. La presse anglaise est très confiante avant ce match et ne fait pas grand cas de l’opposition polonaise.
Et pourtant Lodz commence bien le match se procurant quelques occasions et en déstabilisant Liverpool par sa vitesse. A la 48ème minute c’est l’ouverture du score pour les polonais. Sur un centre à hauteur du point de penalty le fantasque gardien zimbabwéen Bruce Grobbelaar se lance dans une sortie kamikaze et se loupe complètement : Tlokinski n’a plus qu’à pousser le ballon dans les cages !
A la 80ème minute la défense anglaise est encore prise en défaut par la vitesse polonaise, Andrzej Grebosz, malheureux contre Vienne, se rachète en délivrant un splendide centre sur la tête de Wieslaw Wraga qui marque d’un incroyable et surpuissant coup de tête à l’entrée de la surface ! Grobbelaar est encore cloué sur sa ligne, le gardien de Liverpool est à nouveau fautif sur ce but.
Le premier exploit est la mais tout le monde sait que le match retour dans l’enfer d’Anfield sera extrêmement difficile. Ce sont 45 000 spectateurs qui assisteront à la rencontre 15 jours plus tard. Et pourtant les joueurs du Widzew ne sont pas impressionnés par une telle affluence, à la pause le score est d’1-1 après deux pénaltys de chaque côté. Les polonais se paient même le luxe de prendre l’avantage à la 53ème minute ! Malgré deux buts anglais le Widzew se qualifie pour les demis-finales de la C1.
Un exploit unique
» A la fin du match les supporters anglais ont commencé à nous applaudir, ce fût vraiment une expérience incroyable, tout le monde a vu à quel point nous avons joué avec nos tripes ! » explique le milieu de terrain Wieslaw Wraga sur le site officiel du Widzew. « Le retour à Lodz, dans notre stade a réellement été incroyable également, une foule immense de fans nous attendait, lorsque je suis rentré chez moi j’ai retrouvé plein de fleurs devant ma porte ! » poursuit-il.
Mais l’aventure ne s’arrête pas là, le match suivant se profile à l’horizon, face à un autre grand d’Europe : la Juventus de Turin !
Michel était trop fort
Ironie du sort c’est aussi le club de l’idole, Zbigniew Boniek, qui a passé 7 ans et joué presque 200 matchs officiels sous les couleurs du Widzew. En plus du « cheval fou » la Juve est composé d’une armada de joueurs internationaux : Michel Platini, Dino Zoff ou encore Marco Tardelli. Cette fois la marche est trop haute pour les polonais. La Juve s’impose 2-0, le malheureux Grebosz déviant à nouveau une balle au fond de ses filets. Au match retour les polonais ne déméritent pas et parviennent même à mener 2-1 à la 79ème minute, mais Platini, auteur d’un grand match, égalise deux minutes plus tard et enterre définitivement tous les espoirs du Widzew.
Nos yeux pour pleurer
Peu importe le parcours du Widzew aura été exemplaire. En visionnant ces images d’un autre temps on ne peut s’empêcher d’être pris d’une forme de nostalgie.Elle était belle cette compétition sans phase de poules, réservée uniquement aux champions nationaux, avec une vraie diversité de vainqueurs et de participants, loin de la Ligue des Champions et de ses grandes équipes qui tournent en vase clos.
Verra-t-on à nouveau un club polonais à un tel niveau ? Rien n’est moins sur quand on regarde le parcours européen du champion en titre.
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